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Une coquille partagée

Introduction à mon mémoire Une Coquille Partagée

Je vais vous parler des coquilles.
Les coquilles qui nous accueillent pour nous tenir au chaud, qui nous protègent des intempéries, de la violence des rues et qui nous permettent de nous sentir en sécurité. Ces coquilles qui nous séparent de l'extérieur par une porte, qui sont parfois empilées les unes sur les autres, ou encore perdues au milieu d’une végétation prédominante, certaines roulent, flottent, ou volent. Parfois ces coquilles sont partagées par une famille, un couple, des amis ou parfois ces coquilles sont laissées à l’abandon, inhabitées, inutiles.
Je vais vous parler de nos lieux de vie qui doivent être repensés , modifiés pour surmonter la crise climatique. Dans un monde où la population ne cesse d’augmenter, où les terres ne cessent de s'amoindrir en ressources, en matières premières, en organismes, et où les guerres, les catastrophes naturelles et les incendies engendrent des migrations de population massives, il devient nécessaire de réfléchir sur notre place sur Terre. Il faut remettre en question cette société de consommation, d’opulence, ces constructions et destructions influencées par la mondialisation qui nous rendent interdépendants et il faut favoriser l’intégration, la cohabitation.
44% de l’énergie consommée en France est utilisée dans le secteur du bâtiment, ce qui signifie que de plus en plus de terres agricoles ou d’espaces naturels sont rasés pour accroître un étalement urbain. BL évolution, qui est un centre accompagnant les organisations dans le développement durable, indique que l’espace individuel utilisé doit être réduit de 20% d’ici 2030 pour passer à 32m2 par personne. Sinon il n’y aura plus assez de terres cultivables pour nourrir la population croissante, la biodiversité sera réduite de manière irréversible et irrémédiable pour l’humanité.
Cette place qui doit être réduite entraine forcément des modifications de mode de vie, d’habitude, d’organisation.
Depuis deux siècles de nombreuses tentatives de communautés pensées en contradiction avec la révolution industrielle et la société capitaliste et individualiste sont l’exemple d’expériences sociales qui prennent en compte ces modifications d’organisation, d’économie, de transports, de distribution et de partage.
Je pense notamment aux Kibboutz, des communautés juives qui se sont rassemblées pour mettre en commun les machines et les connaissances agricoles. Des lieux de vie partagés ont été pensés comme la cantine ou la maison de l’enfant où chaque enfant reçoit la même éducation sans distinction de sexe ou de classe sociale, qui sont, à l’entrée au Kibboutz, mis à égalité. Ces villages existent encore pour la majorité et en ont inspirés bien d’autres comme la ZAD de Nôtre-Dame des Landes ou bien Julie que j’ai rencontrée cet été et qui vit en groupe dans des cabanes construites par leurs mains.
Dans tous ces lieux, un équilibre entre le collectif et l’individuel a été pensé et construit aux sein de l’architecture des lieux. Les espaces personnels, limités en taille, sont séparés des espaces communs, un échange se crée entre les deux, bien plus que si tout le monde avait sa cuisine ou son canapé.
Le théoricien Leopold Kohr affirme la notion « d’échelle à taille humaine », c'est à dire, a contrario d’une croissance démesurée et d’une volonté de gagner en puissance par nos corps politiques, nous devrions penser nos espaces en fonction du nombre d’occupant. Il déclare même « qu’une société qui croît au-delà de sa taille optimale, sera face à des problèmes qui finiront inévitablement par dépasser la croissance des facultés humaines qui sont nécessaires pour les traiter. » La Cité idéale serait donc à taille humaine.
On pense alors à la Villeneuve de Marc Held qui souhaite que les déplacement ne prenne pas plus d’une heure à pied pour faire le tour de la ville et que le nécessaire se trouve à moins de 30min. Une théorie qui réévalue les besoins primaires et le confort de chacun tout en reprenant le principe de partage des ressources matérielle et terrestres.
Il s’agit alors de penser à la fois le lieu et l’ensemble, d’articuler le local et le global pour cohabiter en tant qu’individu et collectif.

Mais dans certains cas, il nous est difficile de distinguer les deux architecturalement et c’est dans ce cas là que l’objet prend un place et une fonction essentielles dans la vie de chacun.
Je crois que nous devons repenser nos rapports aux objets qui nous entourent, qui occupent une place indéniable dans notre environnement de vie. Et plus particulièrement nous en tant que designers, je crois qu’il faut que nous nous posions la question de la fonction que nous accordons aux objets que nous concevons.  L’objet est là pour s’adapter à son contexte d’utilisation et son utilisateur et non l’inverse. L’objet n’est pas là pour répondre à un besoin conçu et produit en même temps.
Ivan Illich dans son écrit La convivialité livre une réflexion sur sa société conviviale qui serait, je cite, S une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Une répartition des tâches quotidiennes dans une démarche d’autonomie et de rationnement de nos besoins artificiels entraînerait alors un rôle plus personnel à l’objet à des fins collectives.
C’est là que la designer Charlotte Poupon entre en compte dans mon cheminement de pensée. Elle expérimente, recherche une manière d’accompagner les astronautes ou les sous-mariniers dans leur quotidien confiné et dans leur regroupement dans des environnements hostiles. C’est dans des conditions extrêmes que des réflexions sont faites au sujet de l’importance d’un objet personnel et quotidien. Il peut devenir un espace de refuge pour chacun, un prolongement de notre identité, un concentré de plaisir durable et nécessaire de sécurité. Charlotte Poupon, par ses expériences sociales, repense le nécessaire en confrontant des individus inconnus dans un espace cloisonné et coupé du reste du monde. Les interviews et les questionnaires post expérience révèlent une frustration, parfois un inconfort ou au contraire un recentrement sur soi. J’ai moi même interviewé  un sous-marinier qui me partage son expérience, ses habitudes et activités dans ses lieux confinés. Son seul espace à lui était cette bannette, tout le reste était partagé, occupé constamment par d’autres individus. L’objet lit est alors apparu comme un objet prenant la fonction d’assurer un espace privé et singulier pour chacun dans le collectif.
C’est le rapport de chacun avec un objet choisi qui le place au rang d’objet fondamental et non seulement au rang d’objet technique.
Mon mémoire m’a permis de questionner le processus de conception de ces habitats, d’ancrage dans l’existant et de tentative de nouvelles méthodes de pensée pour une organisation plus saine et durable. Je suis partie à la recherche de récits de ces « alternatives » que j’avais pu déjà appréhender cet été durant mon stage au Low Tech Lab de Concarneau qui développe un futur plus responsable, accessible à tous et utile à la société.
En rencontrant ces différents habitants, j’ai étudié avec eux leur équilibre qui s’est fait plus ou moins naturellement entre l’individu et le collectif, j’ai compris leur besoin, leur nécessité et je fus imprégnée de leur conscience écologique mais aussi humaine. Ces projets d’habiter autrement n’étaient pas seulement dans une démarche d’un monde plus respectueux de l’environnement naturel mais aussi dans une volonté d’un bien être personnel, de se détacher de l’oppression et du monde artificiel qu’engendre la société de consommation. Ces individus se sont trouvés et se sont rassemblés pour construire une mini-société, une communauté, un monde qui leur correspond réellement, qui répond à leur besoin.

Les notions de partage, séparation et d’équilibre ont cohabité tout au long de mon étude et de mon expérience personnelle dans ces lieux alternatifs. L’objet est apparu dans les réflexions de chacun pas seulement au sujet de sa fonction mais aussi de son rôle dans les lieux en tant que bien commun ou personnel.
Je me suis posée alors la question des relations que nous entretenons aux objets, et si le designer devrait y penser en le concevant.
Finalement, se réapproprier son habitat, c’est comprendre, intégrer et prendre soin de l’écosystème dans lequel nous nous inscrivons et duquel nous dépendons.
Quelques pages de mon mémoire
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